Liberté de circulation maritime

Aris-Georges MARGHÉLIS

Docteur en droit international public –  Centre de Droit Maritime et Océanique – Université de Nantes

Remarques introductives

La liberté des mers est une des premières notions à laquelle est confronté un chercheur en droit de la mer, puisqu’elle est communément admise comme étant le pilier principal de ce droit. Généralement attribuée au juriste néerlandais Grotius, l’idée d’une liberté des mers était déjà présente dans le droit romain, qui stipulait que la mer était commune omnium, à savoir commune à tous (tout comme son littoral, mais aussi les cours d’eau et l’air). Cependant, ce principe n’a eu que peu de succès lorsqu’il a été repris et développé par Grotius en 1609, dans son œuvre Mare Liberum, à des fins – rappelons-le – de défense de certains intérêts économiques néerlandais. Il avait à l’époque été fortement critiqué par les Espagnols, les Portugais et les Britanniques et ne s’imposa qu’au XIXème siècle, à l’ère de la toute puissance maritime et navale du Royaume-Uni. Ce n’est que depuis cette période que ce principe est considéré comme un des principaux fondements de l’ordre juridique des mers, fait qui a largement découlé d’intérêts économiques et stratégiques procédant eux-mêmes d’un rapport de force donné en mer. Dès lors, le droit de naviguer et de commercer pour tout navire à travers le monde a été clairement établi.

Aujourd’hui, ce sont les États-Unis, en tant que première puissance navale du monde, qui ont pris la relève dans la défense et la promotion de ce principe, en le hissant au sommet de leur agenda naval et maritime. Ils fournissent depuis plusieurs années un effort politique, militaire, diplomatique et surtout académique sans précédent pour sauvegarder ou – d’un autre point de vue – imposer leur conception de la liberté de navigation. Une première raison est évidente : la composante navale est la clé de voûte de la puissance américaine ; promouvoir au maximum la liberté et le rayon d’action de la marine américaine à travers le monde est donc vital pour les Américains. Une deuxième raison est tout aussi évidente : le commerce mondial dépend du trafic maritime à hauteur de 90% ; en limiter la liberté de façon substantielle n’est donc envisageable pour aucun État, ni pour les États-Unis.

Cependant, ce principe, tel qu’il est souvent présenté aujourd’hui est, à notre sens, étrangement imprécis en raison des nombreuses évolutions qu’a pu connaître au XXème siècle le rapport de l’homme à la mer.

N’est-il pas nécessaire aujourd’hui de distinguer la composante navale de la composante maritime et marchande ?

Jadis, les navires de commerce devaient être escortés par des navires de guerre ; leurs destins en mer étaient donc liés. Aujourd’hui, il n’en est plus ainsi : le maillage juridique dense, les avancées technologiques, ainsi que la connaissance et la pacification globale des océans permettent de dissocier clairement ces deux composantes. Les quelques récents défis posés par la piraterie au large de la Somalie n’ont en aucun cas inversé cette réalité : tout au plus, des gardes armés sont-ils intervenus à bord des navires marchands, en sus des protections navales qui ont agi pendant une période et dans un espace bien circonscrits avec l’accord formel de la communauté internationale. La distinction aujourd’hui essentielle entre le registre naval et registre maritime et commercial est d’ailleurs opérée dans la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982.

Mais cette dissociation était également faite dans le passé par ceux qui aujourd’hui ne la font plus. En 1911, le sénateur américain Elihu Root, secrétaire d’État et représentant des États-Unis dans l’affaire des pêcheries des côtes septentrionales de l’Atlantique contre le Royaume-Uni, avait indiqué, dans une de ses interventions, que les navires de guerre constituaient une menace et ne pouvaient donc bénéficier du passage inoffensif dans les eaux territoriales, contrairement aux navires marchands. De même, lors de la Conférence de La Haye de 1930, ce sont les États-Unis qui menèrent le groupe des États s’opposant au droit de passage inoffensif et, par conséquent, à la liberté de navigation des forces navales.

Cependant, dans une volonté claire de prévenir – tant dans le domaine militaire que commercial – toute mesure susceptible d’initier un processus d’accroissement de la règlementation de la navigation, les États-Unis mènent aujourd’hui une politique de sacralisation de ce principe sans pourtant en définir clairement le contour. Or, il est absolument vital d’en identifier les limites pour pouvoir l’appréhender correctement, lui donner une consistance pour inverser la tendance et le faire passer de l’abstrait au réel.

La source de la confusion concernant la liberté de navigation des forces navales : liberté de mobilité et droit de mener des activités d’intérêt militaire

L’espace géographique dans lequel cette confusion est le plus à l’œuvre, avec des conséquences importantes en termes de sécurité régionale et internationale, est celui de la mer de Chine du Sud. Or, il est impossible de comprendre les évolutions dans cet espace lorsque l’on se réfère de façon abstraite à la liberté de navigation, comme le font systématiquement les Américains. De quelle navigation s’agit-il ? A-t-on des témoignages d’entraves posées au commerce maritime par les autorités chinoises ? A notre connaissance non. Et l’inverse aurait été fort improbable : un géant économique qui dépend au plus haut degré de ses importations d’hydrocarbures et de ses exportations de produits finis, qui se font quasi-totalement par voie maritime, ne peut avoir intérêt à mener une telle politique ; sans compter qu’une telle politique mettrait la Chine face à l’ensemble de la communauté internationale, ce qui constituerait un évolution peu intéressante pour Pékin. La confusion provient du fait que les Américains incluent également dans la liberté de navigation la liberté des forces navales de mener diverses activités d’intérêt militaire dans la ZEE d’États tiers. Cela crée une anomalie structurelle puisque sont regroupés dans une même notion deux droits différents. D’une part, un droit garanti sans équivoque par le droit de la mer : celui de la liberté de naviguer, à la fois pour les navires commerciaux et militaires, sous les conditions très claires posées par la CNUDM. D’autre part, un droit dont la validité de l’interprétation américaine ne fait nullement l’unanimité et ne peut donc être considérée comme une règle de droit : celui de la liberté de mener des activités d’intérêt militaire dans la ZEE d’un État tiers. En raison de cette anomalie structurelle, le principe de liberté de navigation est ainsi instrumentalisé et sa réelle signification biaisée.

Au final, nous sommes très loin de la liberté de navigation telle qu’elle a été conceptualisée par Grotius – bien que les références à son œuvre soient devenues presque un automatisme chez les défenseurs de la vision américaine de liberté de navigation -, et assez loin de la liberté de mobilité des forces militaires qui reste garantie sans équivoque par la CNUDM. Cependant, l’élément stratégique a une particularité : il est fondamentalement sujet à une approche subjective. Chacun est libre et de comprendre les rapports de force internationaux et de penser le monde comme il l’entend, et de s’identifier ou non à tel ou tel pôle de puissance. Ce qui importe davantage est l’intérêt bien compris de la communauté internationale, qui, aujourd’hui, ne saurait être autre que celle de la protection environnementale des océans.

Liberté de navigation et protection environnementale : vers la définition d’un nouveau rapport ?

Malgré l’existence de constantes évidentes, notre séquence historique est unique en ce qui concerne le rapport de l’homme à la mer : longtemps dans une logique d’exploration, de découverte et d’aventure, nous sommes passés à un stade où les espaces maritimes ont été largement apprivoisés, essentiellement grâce à la technologie qui permet la présence durable et massive en mer, la rapidité et l’assistance. A la technologie, il faut associer également les avancées dans le domaine industriel qui ont créé un phénomène nouveau à l’échelle de l’histoire humaine : la pollution marine et ses effets dévastateurs, qu’un pays comme la France ne connaît malheureusement que trop bien.

Or, nous avons pu assister par le passé à certaines réactions pointant du doigt une prétendue limitation de la liberté de navigation par l’adoption de mesures visant à préserver l’environnement marin. Rappelons que l’accord de Malaga conclu entre la France et l’Espagne en 2002, puis le Portugal1, à la suite du naufrage du Prestige, avait pu susciter des réactions non seulement d’acteurs privés et d’analystes américains qui faisaient état d’une violation de la CNUDM, mais aussi de pays comme l’Allemagne et la Belgique, ainsi que de l’OMI qui pointait du doigt le caractère unilatéral de la décision et la rigueur excessive des dispositions. Nous pouvons également évoquer le succès de l’Australie dans son effort à faire considérer par l’OMI les détroits de Torres comme « zone particulièrement vulnérable » en 2005, en y imposant le pilotage obligatoire pour les navires transportant des cargaisons dangereuses et arborant le pavillon d’un État membre de l’OMI, au grand dam de Washington et de Singapour qui réagirent vivement à cette décision. Ces phénomènes témoignent d’un décalage qui se creuse progressivement entre l’interprétation de certains principes élémentaires du droit de la mer et les besoins suscités par la réalité, celle du stress environnemental des océans et des littoraux. Crier à la violation de la liberté de navigation en raison d’un accroissement des mesures environnementales qui affectent la navigation de certains navires transportant certains produits dans certaines parties du globe est-il vraiment pertinent et légitime ? Sanctuariser un principe, et plus précisément une interprétation particulière de ce principe, est-il une posture qui sert les intérêts de la communauté internationale et la protection globale des océans ? En fin de compte, contrôler, puis éventuellement empêcher certains bâtiments – dont l’expérience nous a montré qu’ils peuvent être potentiellement dangereux – de transiter par la ZEE d’un État côtier, ou exiger un pilotage obligatoire dans des zones à la fois dangereuses en termes de navigation et écologiquement sensibles, est-il réellement une atteinte à la liberté de navigation ? Nous sommes de l’opinion que non.

Nous nous trouvons dans une séquence temporelle qui exige la prévention car nous connaissons les défis et pouvons évaluer les conséquences de nos actes. L’époque où la gestion pouvait se trouver en aval de l’activité humaine n’est plus ; elle doit dorénavant se situer en amont de l’activité humaine, car nous savons désormais les limites de notre environnement, et aucun domaine ne peut échapper à ce changement structurel fondamental, global et irrésistible. Du temps de Grotius, il n’y avait ni produits toxiques et nucléaires, ni hydrocarbures, ni surpêche, ni surpopulation, ni stress environnemental de zones maritimes et littorales entières. Aujourd’hui, la conscience de ces problèmes ne laisse plus de place à la prise de risque au nom d’une interprétation d’un principe qui se déconnecte de plus en plus de la réalité et qui se hisse au statut de dogme. Après tout, privilégier la liberté de navigation de tous les bâtiments sans exception au détriment de l’environnement n’est-il pas confondre la liberté des mers avec l’anarchie, l’irresponsabilité et l’impunité en mer ?

Quelles perspectives ?

Dans un souci évident de protéger les intérêts stratégiques américains, un analyste écrivait en 2015 qu’il était crucial de contrecarrer les efforts de redéfinition de la signification de la CNUDM et de limitation de la liberté des mers menées par la Chine, et qu’il ne fallait pas laisser cette dernière détruire les barrières nous protégeant de la « tyrannie maritime »2. N’est-il pas davantage temps de se protéger de la tyrannie d’une certaine conception de la liberté de navigation prête à sacrifier ce qu’il reste de l’environnement océanique – un bien qui concerne objectivement l’ensemble de la communauté internationale – au nom d’intérêts nationaux ou économiques particuliers ?

Rendre la mer humaine, c’est aussi pouvoir penser différemment des principes qui ont été eux-mêmes établis dans un environnement particulier. Il ne s’agit pas de les déconstruire, bien au contraire : les adapter à une nouvelle situation lorsque celle-ci est objectivement irréversible ne fera que leur permettre de perdurer. A l’inverse, ignorer ce décalage et les conserver de façon dogmatique sous une certaine forme pour continuer de défendre des intérêts qui ne sont nullement universels risquerait fortement de les compromettre à terme.

Lors de la Troisième conférence des Nations-Unies sur le droit de la mer, la communauté internationale a fait preuve d’une grande maturité, qui est l’élément clé qui, en fin de compte, permit d’établir la Convention de Montego Bay qui gouverne aujourd’hui nos océans et qui est unanimement, à quelques exceptions près et malgré ses défauts, acceptée comme faisant autorité. Le 28 mars 2016, un comité préparatoire, qui devrait se réunir encore trois fois d’ici à la fin 2017, s’est réuni afin de préparer un traité international visant à protéger la biodiversité dans la zone maritime située au-delà de la juridiction étatique, un traité qui ne fait que nous mettre face à une réalité de notre monde désormais impossible à ignorer : le rapport de l’urgence environnementale à la liberté de navigation et les conséquences de ce rapport sur l’équation sécuritaire internationale dont les océans sont une composante essentielle. Une conférence intergouvernementale chargée de négocier la forme finale de ce traité devrait avoir lieu en 2018. La communauté internationale fera-t-elle preuve de la même maturité que pendant les négociations de la Convention du droit de la mer ? Même si nous l’espérons, rien n’est moins sûr et, même en cas de finalisation, tout se jouera au niveau de l’applicabilité de ce traité. De ce point de vue, une chose est en revanche certaine : une approche strictement environnementale qui ignorerait la dimension politico-stratégique de cette question sera, à notre avis, une garantie de l’échec de cette formidable entreprise.

  1. Cet accord, dont le Portugal applique aussi les dispositions, impose aux armateurs des navires pétroliers monocoques âgés de plus de 15 ans, transportant du fioul lourd ou du goudron, et étant dépourvus de dispositifs de mesure du niveau et de la pression des hydrocarbures dans les soutes, de fournir, à leur entrée dans la ZEE française ou espagnole, une série d’informations. Il s’agit notamment d’informations concernant l’État du pavillon, la nature exacte de la cargaison, la société de classification, les contrôles effectués sur le navire port de départ avant lʼappareillage, et lʼensemble des opérateurs concernés par lʼapplication commerciale. En cas de doute, les autorités françaises et espagnoles peuvent procéder à une inspection en mer et le navire peut être refoulé. Dans les cinq premiers mois de la signature de cet accord, entre novembre 2002 et mars 2003, 28 refoulements ont eu lieu, et 60 au total. [↩]
  2. The Diplomat : Why We Must Defend UNCLOS (James R. Holmes, 06/09/2014). Accessible sur : http://thediplomat.com/2014/09/why-we-must-defend-unclos/ (accès : 30 mai 2016). [↩]

Comment la liberté de circulation maritime Est

La liberté de circulation maritime est garantie par le droit international et en particulier par la Convention de Montego Bay (1982). Dans les eaux territoriales, la souveraineté d'un État s'applique pleinement.

Quelles sont les limites du droit de la mer ?

Principales caractéristiques de la Convention : La limite du plateau est fixée à 200 milles marins de la côte, ou plus dans certains cas. La Convention établit un mécanisme obligatoire et compréhensif de règlement des différends.

Comment fonctionne le droit de la mer ?

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a été adoptée en 1982. Elle définit un régime de droit global pour les océans et les mers de la planète et établit les règles détaillées touchant toutes les utilisations des océans et l'accès à leurs ressources.

Qu'est

La Convention de Montego Bay définit les zones maritimes en fonction de leur distance à l'État côtier. Les zones les plus proches de la côte sont placées sous la souveraineté territoriale de l'État (eaux intérieures, mer territoriale, eaux archipélagiques).