Quel sont les conséquences de l'explosion démographique ?

Introduction

1La terre abritait un milliard d’êtres humains en 1800, trois milliards en 1960 et six milliards en l’an 2000. La croissance de la population mondiale n’a jamais été aussi forte qu’au cours des cinquante dernières années, où il fallait seulement quatorze ans pour qu’apparaissent un milliard d’individus supplémentaires. Tout un courant de recherche, issu en majorité de l’écologie et très médiatisé, a dénoncé les méfaits potentiels d’une telle augmentation de la population. Jusqu’à une époque très récente, que l’on peut dater autour de l’apparition du concept de « développement durable », la croissance démographique était systématiquement considérée comme néfaste à la croissance économique et à la préservation de l’environnement. Les quelques voix qui s’élevaient alors contre cette argumentation étaient englouties dans le flot du paradigme néo-malthusien.

2À partir de la décennie 1980 et de manière plus nette encore depuis les années 90, cette hégémonie idéologique s’est quelque peu estompée. Un courant de recherche alternatif tend à rendre aux relations entre la démographie, l’économie et l’environnement toute leur richesse et leur diversité. L’opposition tranchée entre les pays développés à faible croissance démographique et les pays en développement à forte croissance démographique ne tient plus ; on ne considère plus la dynamique des populations comme un facteur exogène, mais comme influencée en retour par les conditions socio-économiques et environnementales dans lesquelles les populations s’insèrent ; les termes normatifs de « capacité de charge » ou de « surpopulation » se sont peu à peu éclipsés au profit de nouveaux concepts comme celui de régulation ou de coviabilité. Pour résumer, ce paradigme n’inverse pas le paradigme néo-malthusien, il ne dénie pas toute influence à la croissance démographique sur le développement durable ni ne lui donne un rôle systématiquement positif. Il essaie simplement d’intégrer la dimension de la complexité.

3Il est proposé ici de dresser le bilan de ce glissement de paradigme en étudiant d’abord le schéma de la transition démographique. Un point sera fait sur les données démographiques actuelles ainsi que sur les projections en matière de croissance et de répartition géographique de la population mondiale. Ensuite, nous verrons comment, à travers la multiplication d’études de terrain sur le développement durable, la variable démographique s’est peu à peu insérée dans une dynamique complexe pour déboucher sur des concepts plus nuancés que ceux du néo-malthusianisme. Enfin, pour insister sur le fait que la croissance démographique est moins considérée aujourd’hui comme un problème quantitatif, nous nous intéresserons aux transformations structurelles de la population et à leur inscription dans la thématique du développement durable.

Où en est-on de la transition démographique ?

4La théorie de la transition démographique part de l’observation empirique de la démographie des pays développés. Ceux-ci sont passés d’un régime démographique à mortalité et à natalité élevées à un régime à mortalité et à natalité faibles. Dans ces deux types de régimes, le taux de croissance annuel moyen est relativement faible, c’est-à-dire inférieur à 0,5 % sur le long terme.

Tableau 1. Population mondiale selon les grandes régions (1950-2050).

Quel sont les conséquences de lexplosion démographique ?

5La transition démographique est la période qui s’écoule entre ces deux régimes. Celle des pays actuellement développés a été assez longue, de l’ordre d’un siècle. En revanche, la transition des pays en développement s’opère de manière beaucoup plus rapide grâce à des progrès importants dans la réduction de la mortalité. Comme la baisse de la fécondité suit très fréquemment avec un décalage temporel celle de la mortalité, il en résulte une croissance plus forte au cours de la transition démographique, qui peut atteindre jusqu’à 4 % par an. C’est ce phénomène qui explique la croissance inégalée, et sans aucun doute inégalable, de la population mondiale au cours des cinquante dernières années, propulsée par une phase historique de la transition démographique des pays en développement. Le taux de croissance maximal de la population mondiale a été atteint dans les années 1965-1970, avec une valeur de 2,1 % alors qu’il est actuellement de 1,3 %.

6À la suite de cet événement démographique, la redistribution de la population mondiale au cours du demi-siècle passé a été modifiée de façon sensible (tabl. 1). D’autres modifications devraient survenir d’ici cinquante ans. Les projections réalisées par la Division de la population des Nations unies indiquent que, pour le scénario médian, la population mondiale atteindrait en 2050 un effectif de 9,3 milliards pour un taux de croissance de 0,5 %. On observe en particulier la proportion en forte augmentation du continent africain, consécutive à une transition démographique entamée plus tardivement que sur les autres continents.

7Ces projections ne sont pas des prévisions. Elles reposent sur des hypothèses techniques bien identifiées et sous-jacentes à la généralisation de la théorie de la transition démographique. Certains pays, dont la majorité en Afrique, n’ont en effet pas connu de baisse significative de leur fécondité. À l’autre extrême, on ne peut que faire des hypothèses sur les comportements de fécondité des pays développés, dont certains connaissent des taux de croissance négatifs, c’est-à-dire une baisse de l’effectif de leur population. Ces réserves mises à part, et à leur avantage, les projections présentées tirent parti de l’inertie démographique et si l’on ne connaît pas précisément les comportements démographiques des générations futures, n’oublions pas qu’une partie de la population de 2050 est déjà née. Mais notre propos est ailleurs. Il importait ici de montrer que la forte croissance démographique de la population est derrière nous et que cela a eu des implications nouvelles dans les recherches et les politiques quant à l’impact de la variable démographique sur le développement durable.

Croissance démographique et développement économique

8Pour expliquer le passage de l’ancien régime démographique au nouveau, il est usuel de faire appel à la théorie de la modernisation. L’urbanisation, la scolarisation, les progrès sanitaires et médicaux, l’économie de marché entraîneraient dans leur sillage des comportements reproductifs visant à limiter le nombre des naissances, d’où la célèbre formule : « La meilleure pilule, c’est le développement. » Dans les années 60 et 70, de nombreux pays du Sud, notamment en Afrique, ont ainsi préféré miser sur le développement économique que mettre en place des politiques de planification familiale. À cette époque, les enquêtes des Nations unies menées auprès des responsables des pays africains montraient d’ailleurs qu’une forte natalité ne représentait pas pour eux un problème.

9La question qui a été posée aux chercheurs est la suivante : le schéma explicatif de la transition démographique des pays du Nord est-il transposable aux pays du Sud ? Si la théorie de la modernisation est globalement vérifiée pour les pays développés, la situation est plus diffuse pour les pays en développement. L’île Maurice a ainsi effectué sa transition démographique en une cinquantaine d’années dans un contexte de développement économique rapide ; le Viêt-nam, en revanche, est en phase d’achever sa transition démographique alors qu’il demeure parmi les pays les plus pauvres du monde. En Amérique latine, on peut parler d’une transition démographique à deux vitesses : l’une est la conséquence d’un développement économique dans les années 30-60, l’autre est en cours depuis les années 80 dans un contexte de pauvreté, sans accès particulier au progrès social, sanitaire, médical ou éducatif.

10À partir d’analyses de séries de données statistiques longues et fiables dont on commence à disposer, un résultat important de la recherche des années 90 est la mise en évidence de schémas de baisse de fécondité sur fond de crise économique et d’aggravation des conditions de vie des populations. Qu’on les regroupe sous le vocable de « transition de la pauvreté » ou de « malthusianisme de pauvreté », les comportements des ménages sont guidés par des stratégies de survie, et la venue d’un enfant supplémentaire peut mettre en péril l’économie du ménage. Le recoupement des études effectuées indique que, pour être concrétisée, la demande de planification familiale parmi les populations démunies doit être relayée par une offre efficace, c’est-à-dire par une politique nationale disposant d’infrastructures et de moyens suffisants. Par contre, l’étude détaillée des relations entre la crise économique qu’ont connue les pays africains depuis la décennie 1980 et la tendance de la fécondité montre que ce sont davantage les couches supérieures et moyennes de la population qui ont réagi à la récession par une baisse de leur fécondité.

11Les liens entre la croissance démographique et la croissance économique sont donc beaucoup plus variés que ne l’indiquaient les théories néo-malthusiennes. Il est vrai que l’échelle d’analyse s’est affinée et que les politiques de population que l’on met en œuvre aujourd’hui sont davantage régionalisées et ciblées sur des groupes socio-professionnels particuliers. Implicitement, cela revient à reconnaître des comportements démographiques différenciés selon le milieu de résidence, le mode de formation du revenu, le degré d’insertion dans les activités agricoles et, en fin de compte, le rôle des enfants dans l’économie familiale. Concrètement, ces politiques se démarquent de plus en plus du problème de la limitation des naissances stricto sensu pour aborder des aspects plus généraux comme la santé ou l’éducation.

Croissance démographique et environnement

12« Si dix millions d’hommes trouvent jamais une subsistance assurée dans ces provinces, ce sera beaucoup. À peu de choses près, le pays pourra se suffire à lui-même, pourvu que ses habitants sachent être heureux par l’économie et la médiocrité », écrivait l’abbé Raynal en 1781. Cette prophétie émise au sujet des États-Unis d’Amérique montre combien il faut se méfier des aspects normatifs. Plus près de nous, les écologues et d’autres scientifiques ont dans les décennies 1960 et 1970 tenté eux aussi des évaluations de « capacité de charge » de notre planète. Elles ont abouti à des chiffres variant de 600 millions à 50 milliards d’individus ! C’est aussi à cette époque que les économistes et les écologues ont essayé de déterminer un « optimum de population » pour enrayer la « surpopulation », voire pour désamorcer la « bombe Population » ou, ce qui revient au même, empêcher « l’explosion démographique ».

13Ces vocables catastrophistes sont très représentatifs de la place accordée alors à la variable démographique.

  • 1 Pebley rapporte l’expérience de Samuel Preston qui fait part de sa frustration lorsque ses collègu (...)

14Rétrospectivement, le cavalier seul de ce courant de pensée est assez étonnant, alors même qu’Ester Boserup avait déjà formulé le paradigme inverse selon lequel la pression démographique était un stimulant à l’adoption de nouvelles techniques agricoles et donc au développement. Là encore, c’est seulement depuis une quinzaine d’années que des positions plus nuancées, ni néomalthusiennes ni boserupiennes, se sont fait entendre. Une communauté scientifique plus large s’est intéressée aux problèmes du développement durable et en particulier les sciences sociales, au sein desquelles seule l’économie avait déjà abordé ces questions. Si, selon la formule de Ian Pool, le métier du démographe n’est « pas de compter les gens mais de faire en sorte que les gens comptent », on peut se demander avec Anne Pebley pourquoi les démographes n’ont pas investi plus tôt le champ des relations population-environnement, alors même que la croissance démographique était accusée de nombre des maux de l’environnement et des ressources naturelles ? Les réponses qu’elle apporte sont intéressantes : premièrement, certains démographes étaient eux-mêmes convaincus par l’effet négatif d’une forte croissance démographique et ont focalisé leur recherche sur les manières de la ralentir ; deuxièmement, d’autres démographes ont paradoxalement délaissé ce champ de recherche en partant du principe que la croissance de la population n’était pas responsable des problèmes environnementaux et donc que les démographes n’avaient rien à apporter à ce débat ; troisièmement, les recherches menées dans le domaine de l’environnement par des disciplines des sciences naturelles, physiques ou chimiques et auxquelles se sont associés des démographes ont abouti à des problèmes de communication entre chercheurs1 ; quatrièmement, les données longitudinales sur lesquelles travaillent les démographes ne disposent en général pas d’équivalent dans le domaine de l’environnement.

15Cette lacune a depuis été comblée par de nombreuses études de terrain et par l’examen de données recueillies expressément. Au niveau local, on a montré que l’impact de la croissance démographique n’est pas toujours un fléau, loin s’en faut. Dans de bonnes conditions de production agricole, une famille nombreuse est garante d’une main-d’œuvre disponible à tout moment. Dans le cas de saturation de l’espace agricole ou du caractère aléatoire de cette activité pour des raisons climatiques, la migration est un facteur de régulation autour duquel les sociétés se structurent. Cette forme de pluriactivité familiale géographiquement dispersée a des incidences en retour sur le milieu de départ, puisque le revenu apporté par le migrant peut être directement utilisable pour améliorer les conditions de production, effectuer des aménagements environnementaux, etc. Au niveau global, il est maintenant clairement admis que les modes de production et de consommation sont largement plus déterminants dans les problèmes de pollution mondiale que la croissance démographique. Dans les années 90, l’émission de gaz carbonique de la part des pays en développement est de l’ordre de 25 %. Par habitant, cette quantité est neuf fois plus élevée dans les pays du Nord que dans ceux du Sud. Si les pays du Sud adoptent d’ici quelques décennies les normes de production économique actuellement en vigueur dans ceux du Nord, les problèmes de pollution planétaire seront gravissimes. Cela incite à mettre davantage l’accent sur la recherche de technologies de fabrication moins polluantes que sur la réduction de la croissance démographique.

16Outre ces résultats empiriques, le concept de développement durable qui s’est répandu dans la décennie 1990 et l’acception plus systémique du développement qu’il a entraînée n’ont sans doute pas été étrangers non plus au changement de vision quant au rôle de la variable démographique. Deux phénomènes jouent en ce sens. D’abord, on a cessé de poser comme exogène au processus de développement la croissance de la population ; dans les pays en développement, le couple production-reproduction reste en effet un puissant facteur explicatif des comportements de fécondité. Ensuite, l’élargissement de la thématique du développement à des aspects économiques, sociaux, technologiques, politiques, institutionnels, écologiques a fait que la variable démographique s’est trouvée en quelque sorte noyée parmi d’autres, ce qui en a relativisé le rôle.

L’approche complexe : une illustration en Tunisie rurale

  • 2 L’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Laboratoire population-environnement (LPE) (...)

17Nous avons présenté dans les deux parties précédentes les relations entre la démographie et d’une part l’économie, d’autre part l’environnement. Cela nous a permis de montrer l’évolution des idées dans deux domaines traditionnellement étudiés séparément. Mais si nous défendons l’idée qu’un nouveau paradigme plus intégré est en train de voir le jour, ce dont attestent par exemple plusieurs articles de synthèse parus dans la revue Natures, Sciences, Sociétés, il faut se pencher sur ce qu’il recouvre et sur ce que sont ses enjeux et ses méthodes. C’est pourquoi, en guise d’illustration, nous présentons ici une expérience de recherche menée en Tunisie rurale par un collectif de recherche pluridisciplinaire franco-tunisien2 au cours de la décennie 1990.

18L’objectif principal du programme DYPEN (Dynamique Population Environnement) était de promouvoir l’amélioration des connaissances sur les systèmes population-environnement en milieu rural et de proposer des orientations dans les schémas de développement et d’aménagements ruraux intégrant la durabilité. Cela s’est fait en développant une approche comparative sur quatre sites de 500 km environ de la Tunisie continentale, du nord au sud du pays (Kroumirie, Haut-Tell, Basses Steppes, Nefzaoua), suivant un gradient d’aridité croissant allant du subhumide au désertique. L’hypothèse principale de travail était que la croissance démographique ne pouvait être tenue pour seule responsable de la dégradation du milieu naturel. L’approche tirait son originalité de l’articulation de différents niveaux d’échelles à la fois au niveau régional et au niveau local selon le dispositif de recherche décrit ci-après et détaillé dans la figure 1 :

  • la réalisation d’une « Enquête Principale » avec trois principaux volets : socio-démographique, activité agricole, usage des ressources naturelles. Menée sur 600 ménages par zone, soit le quart de la population, elle constitue la référence de base à validité statistique. Elle a permis l’élaboration d’une typologie d’exploitations agricoles ;
  • la réalisation d’enquêtes complémentaires, les « Modules Thématiques », qui utilisent comme base de sondage l’« Enquête Principale ». Elles ont été réalisées dans les quatre zones sur des thèmes spécifiques et considérés comme essentiels (stratégies familiales, gestion des ressources naturelles, développement local, perception de l’environnement, mobilité, fécondité des femmes) ;
  • la mise en place d’« Observatoires Spatialisés ». Non représentatifs, ils traitent de problématiques socio-environnementales spécifiques à une zone à l’échelle la plus fine (parcelle, bassin versant). Ils sont en quelque sorte des « laboratoires d’essai » ou des « générateurs d’hypothèses ».

Figure 1. Description fonctionnelle du programme DYPEN.

Quel sont les conséquences de lexplosion démographique ?

19Grâce à l’élaboration d’une typologie des exploitations agricoles, il a été possible de mettre en exergue des comportements démographiques spécifiques ainsi que des modes d’usage des ressources naturelles, mais aussi de mieux comprendre les rouages de ces relations. Illustrons cela par l’étude de quelques processus anthropiques détectés dans les deux sites d’étude du Sud tunisien.

  • 3 Le taux de croissance annuel moyen entre les recensements de 1984 et 1994 est de 1 %.

20Nous commencerons par l’observatoire de la désertification à Menzel Habib, situé en milieu aride sur d’anciennes terres à vocation pastorale occupées par des pasteurs transhumants. La sédentarisation de la population a eu lieu au cours des années 1970-1976. Au cours des trente dernières années, la particularité démographique de la population est un fort taux de fécondité et une émigration elle aussi importante, aboutissant au total à une croissance nette de population plutôt faible3. La cause de la désertification observée dans les années 70 et 80 n’est donc pas à chercher dans la surpopulation. Les travaux du collectif DYPEN, réalisés à partir d’images satellitales et d’enquêtes, ont montré que c’était le processus de sédentarisation lui-même qui avait modifié les conditions agriculturales et provoqué la désertification. En effet, la politique de privatisation des terres impulsée dans la décennie 1970 a déclenché une course à l’appropriation selon le principe du faire-valoir en vigueur jusque-là. Anciennement collectives, les terres se sont retrouvées sans propriétaires bien définis et les habitants ont semé plusieurs années de suite celles qu’ils voulaient s’approprier. Or, les conditions climatiques ne permettent qu’un ensemencement tous les cinq ans en moyenne, ce qui a eu pour effet de créer une érosion éolienne importante. Il est d’ailleurs significatif que la désertification ait diminué lorsque les statuts des terres se sont clarifiés vers la fin de la décennie 1980. En contrepoint vient s’ajouter l’introduction de la mécanisation, montrant une fois de plus l’impact de la technologie dans les activités anthropiques.

  • 4 L’entretien d’une oasis demande un travail minutieux et rigoureux de la part de chacun.

21La deuxième étude de cas se situe à El Faouar, oasis située en lisière du Sahara. Là encore, une politique de sédentarisation menée depuis 1949 est à l’origine du développement de cette région. Devenue un centre administratif important au début des années 80, son économie est tournée vers la culture lucrative d’une variété de datte destinée à l’exportation. Mais des agriculteurs de plus en plus nombreux dédaignent cette activité et la région, qui a connu une forte immigration, connaît maintenant l’émigration. Cette situation est due à l’apparition de problèmes environnementaux tels que la diminution de la ressource en eau issue d’une nappe fossile, la salinisation des parcelles ou l’ensablement. L’absentéisme et le manque d’entretien des parcelles4 sont les causes apparentes de cette situation. On les explique généralement à leur tour par la forte croissance démographique issue de la sédentarisation, qui a joué un rôle en divisant la taille des parcelles au fil des générations, rendant la culture de moins en moins rentable. Les différentes enquêtes et travaux de terrain menés à la fois par les spécialistes des sciences de la nature et ceux des sciences sociales ont montré que c’était davantage dans l’organisation générale qu’il fallait chercher les causes de la désaffection pour l’activité phœnicicole. La politique de sédentarisation a en effet eu comme répercussion de transformer une gestion de l’eau fondée sur une organisation familiale en une gestion associative trop lourde et trop coûteuse, aboutissant à la multiplication des conflits entre les utilisateurs. Pourtant, intrinsèquement, la culture de la datte demeure aujourd’hui encore fort rentable. Pour preuve, dès lors que l’on sort des oasis « officielles », on assiste au regroupement d’individus, disposant d’un capital de départ, qui créent leurs propres oasis dans le désert, tout près d’El Faouar, avec une rentabilité très intéressante. Le statut illicite de ces oasis, néanmoins tolérées, nous renvoie ici aux facteurs économiques et politiques sur fond de désagrégation des solidarités familiales traditionnelles. Si la composante démographique intervient bien ici dans les choix en matière de développement durable, il faut voir qu’elle est liée non pas à la croissance de la population mais à sa répartition dans l’espace, car fixer les populations dans cette région et leur assurer un niveau de vie décent est un choix géopolitique des autorités publiques. Et lorsque, dans le même temps, il faut préserver une ressource naturelle non renouvelable qui est le fondement même de l’activité de la population, nous sommes confrontés typiquement au dilemme fondamental du développement durable.

22Les deux exemples précédents montrent que l’on s’éloigne assez vite de la simple pression du nombre sur les ressources dès lors que l’on s’interroge sur la relation population-environnement à un niveau d’analyse plus fin que permet une approche interdisciplinaire. La préoccupation récente de la communauté scientifique quant à la problématique population-environnement à des échelles locales passe par ce genre d’exploration. La méthode de recherche du programme DYPEN présentée ici était aussi une recherche de méthode. Le premier constat que l’on peut en tirer est la nécessité de mettre en relation des questions scientifiques claires et des données permettant d’y répondre. Le second point important est la difficulté de trouver l’équilibre entre les approches généralistes et les approches plus spécifiques. L’évidente nécessité de pouvoir transférer les méthodes sur d’autres terrains se conjugue avec le caractère irréductible d’un terrain particulier. C’est aussi dans ce domaine que la complexité du sujet se traduit par un savoir-faire difficilement décomposable en simples recettes. Ici, le choix de quatre zones d’étude avec des thématiques environnementales différentes et l’adoption d’une méthode commune de recueil de l’information étaient liés à la volonté de trouver un juste équilibre entre ces deux impératifs. Enfin, le sempiternel appel à l’interdisciplinarité ne doit pas rester un vœu pieux. Un des challenges était justement de trouver des outils et des langages communs entre les disciplines. C’est ainsi que les Systèmes d’information géographique ou les indicateurs ont pu, au-delà de leur utilité intrinsèque comme méthode de représentation des phénomènes, devenir des outils fédérateurs entre les chercheurs.

23Si l’on synthétise les travaux menés dans les quatre zones, on peut mettre en avant le résultat général suivant : les comportements démographiques des ménages, qu’il s’agisse de la fécondité ou de la migration, connaissent une variation intra-zone au moins aussi forte que la variation inter-zones. Dans un sens, cela signifie qu’il n’existe pas de déterminisme environnemental qui induirait une stratégie démographique donnée. Dans l’autre sens, cela revient à dire qu’il existe des profils socio-démographiques, caractérisés par des stratégies socio-économiques et des cycles de vie démographique de la famille, qui ont un impact important sur l’environnement naturel. Par exemple, dans la zone de Kroumirie, montagneuse et forestière, le fait d’avoir un ou deux garçons adolescents ou jeunes adultes peut favoriser l’activité de charbonnage à vocation marchande, tandis que le fait d’avoir une fille permet de disposer d’un revenu acquis par elle dans un emploi de domestique en milieu urbain. In fine, les relations entre les variables démographiques et les variables environnementales sont médiatisées par les variables économiques, ce qui indique combien il est difficile de ne pas considérer tous ces aspects de manière concomitante.

Retour sur les projections démographiques

24Une des conclusions majeures à laquelle nous parvenons est qu’au-delà du nombre, les aspects structurels de la population sont d’une grande importance dans le développement durable. Consommation, production, solidarité intergénérationnelle, épargne, retraite, fiscalité, santé, logement, composition familiale, conditions de vie, peu de domaines échappent aux transformations des pyramides des âges que vont connaître les pays en développement, en conséquence du mouvement prévisible de la baisse de la fécondité et de la hausse de l’espérance de vie.

25Les bouleversements de la répartition par âges pour la population mondiale vont être considérables (tabl. 2). Selon le scénario médian des projections des Nations unies, la proportion d’enfants (0-14 ans) va diminuer de 30 % à 21 % entre 2000 et 2050, tandis que la population âgée (60 ans et plus) va passer de 10 % à 21 %. Les pays développés ont déjà entamé ce processus de vieillissement puisque la proportion de personnes âgées est en 2000 légèrement plus importante que celle des enfants, soit respectivement 19 % et 18 %. Si l’on observe bien ces chiffres, on voit donc que la population mondiale de l’an 2050 pourrait avoir la même structure par âge que celle des pays développés actuellement. Pour les pays en développement, la part des enfants va passer de 33 % à 22 % entre 2000 et 2050, tandis que celle des personnes âgées va plus que doubler, passant de 8 % à 19 %. Durant les prochaines décennies, les pays en développement vont donc profiter d’une opportunité démographique qui va faire augmenter leur ratio actifs/inactifs.

Tableau 2. Âge médian de la population mondiale selon les grandes régions (1950-2050).

Quel sont les conséquences de lexplosion démographique ?

26Le processus de vieillissement global de la population mondiale va poser le problème du développement durable dans de nouveaux termes. Si l’on se réfère à sa définition telle qu’énoncée dans le rapport Brundtland, à savoir le « développement qui satisfait les besoins de la génération actuelle sans priver les générations futures de la possibilité de satisfaire leurs propres besoins », c’est ici principalement dans la sphère du social que l’on se trouve puisqu’il s’agit de préserver une sorte d’équité intergénérationnelle dans tous les domaines de la vie des populations. Mais comment les pays en développement vont-ils faire face économiquement et socialement aux conséquences de ce vieillissement rapide de leur population ?

27Nous ne détaillerons pas plus ces aspects, l’objet était ici simplement de montrer que les problèmes de développement durable, longtemps posés en termes quantitatifs par la croissance de la population mondiale, vont sans aucun doute se transformer en problèmes qualitatifs au fur et à mesure des transformations de la structure de la population.

Conclusion

28La croissance sans précédent de la population mondiale durant les décennies 1960-1970 a sans aucun doute été l’une des causes de la stigmatisation des facteurs démographiques dans les problèmes de développement économique et de dégradation écologique. Les analyses et les diagnostics proposés aujourd’hui dans le domaine du développement durable tendent à relativiser davantage le rôle que peut jouer la croissance démographique, et cela pour deux raisons majeures. La première est que de nombreuses recherches qui ont été menées pendant les décennies 1980 et 1990 ont affiné l’étude des facteurs en jeu dans le développement durable et ont montré que les interrelations entre les variables démographiques, économiques et écologiques étaient beaucoup plus variées et complexes que la seule grille de lecture néo-malthusienne ne le laissait supposer. La seconde explication est symétrique de celle qui avait vu l’hégémonie des analyses catastrophistes. Elle est liée à la diminution du taux de croissance actuel de la population mondiale et à l’intégration progressive de l’idée que la population mondiale pourrait se stabiliser vers le milieu du xxie siècle.

29En termes de politique de développement durable, ce glissement de paradigme se traduit par l’adoption de mesures ou de recommandations plus diversifiées se rapportant par exemple à l’éradication de la pauvreté, à la réduction des inégalités sociales, à la gestion et à la protection des ressources naturelles ou encore aux modes de production et de consommation. Pour la majorité des États, les politiques démographiques elles-mêmes s’éloignent de la stricte limitation des naissances pour fusionner davantage avec des politiques de santé, d’éducation, d’amélioration du statut des femmes et des filles.

30Ces politiques devront composer avec la nouvelle donne démographique des pays du Sud, qui s’avère être à la fois une opportunité et un défi pour le développement durable. Une opportunité parce que c’est au cours des prochaines décennies que la proportion d’actifs va être la plus importante, un défi parce que le vieillissement des populations va poser le problème épineux de la prise en charge des personnes âgées. Les pays du Sud commencent ou vont bientôt commencer à se poser les mêmes questions que les pays du Nord en termes démographiques, mais dans un contexte économique et social encore différent. Les réponses seront donc différentes, ce qui montre une fois de plus que le développement, pour être durable, doit surtout être inventif.

Quelles sont les conséquences de l'explosion démographique en Afrique ?

« L'explosion démographique africaine ne pourra contribuer à la croissance économique sans des investissements appropriés dans le capital humain », souligne Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour la région Afrique.

Quelles sont les conséquences pour la population ?

Surpopulation mondiale et pollution La pollution de la planète n'est pas directement liée à la surpopulation mondiale. Les pays les plus développés sont ceux qui polluent le plus, mais aussi ceux qui ont les taux de natalité les plus faibles. Un Américain pollue ainsi 91 fois plus qu'un habitant du Bangladesh.

Quels sont les facteurs de l'explosion démographique ?

Ces différences permettent de grouper les pays en fonction de caractéristiques démographiques de base, telles que : la progression des taux de croissance démographique ; les taux de fécondité et de mortalité ; l'urbanisation ; les schémas migratoires et les facteurs économiques qui déterminent l'apparition et la ...

Quelles sont les solutions de l'explosion démographique ?

Capitaliser sur le dividende démographique en améliorant l'accès des femmes et des jeunes filles à la santé, l'éducation et de la formation professionnelle, et en leur accordant plus de pouvoir économique et social.