Franchissement limite planétaire

Après la 5e limite officiellement passée en janvier 2022, une équipe internationale vient de publier une nouvelle étude qui démontre que la limite planétaire du cycle de l’eau douce a été franchie. Cette fois-ci, les chercheurs du Potsdam Institute se sont associés au Stockholm Resilience Center et sont arrivés à cette conclusion après avoir inclus pour la première fois “l’eau verte” – l’eau disponible pour les plantes – dans l’évaluation de la limite planétaire.

Alors que toute l’attention médiatique se porte sur le rachat de Twitter par Elon Musk, voici que nous franchissons à nouveau en 2022 une autre limite planétaire. Comme pour les autres limites, l’enjeu est tout simplement la stabilité des écosystèmes mondiaux dont l’humanité dépend.

Qu’est-ce qu’une limite planétaire ?

Avant de rentrer dans les détails, définissons ce qu’est une limite planétaire. En 2009, Johan Rockström mène un groupe de 28 scientifiques internationaux afin d’identifier les processus qui régulent la stabilité et la résilience du système Terre. Ils proposeront une mesure quantitative des frontières planétaires dans lesquelles l’humanité peut continuer à se développer et à prospérer. Voici le résultat en 2015 :

Franchissement limite planétaire
Source : figure traduite depuis Steffen et al., 2015 ; Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet, Science
Traduction : Bon Pote, l’économie du Donut

Ces limites planétaires répondent donc à cette question : « jusqu’à quelles limites le système Terre pourra absorber les pressions anthropiques sans compromettre les conditions de vie de l’espèce humaine ? ».

Les limites planétaires ne sont pas aussi simples qu’au premier abord…

Les limites fournissent un cadre quantitatif et qualitatif assez rigoureux sur les impacts environnementaux de nos sociétés. Franchir ces frontières écologiques revient à dépasser la limite de durabilité de notre environnement, et invite à modifier nos modes de production/consommation. Ces limites commencent à être reconnues et prises en compte par de nombreux organismes et États (ONU, UE, France), même si elles soulèvent des critiques, comme tout modèle.

Quelques subtilités importantes à retenir :

  • Comme expliqué par le SRC, « il paraît plus judicieux et prudent de définir des frontières planétaires (soit la valeur basse de l’incertitude, qui équivaut à un risque accru de perturbation du processus de régulation) que des limites (point de basculement ou tipping point) car les points de rupture sont imprévisibles [Zimmer, 2009], voire pratiquement inexistants dans la plupart des cas (CNRS, 2020)« .
  • Aspect systémique : les processus de régulation interagissent et la perturbation de l’un affecte la régulation et/ou la résilience des autres. L’infographie ci-dessous permet de visualiser les interactions. Exemple : le changement climatique qui a une relation directe de cause à effet avec l’acidification des océans.
  • Les limites planétaires sont encore un sujet de recherche pour les scientifiques. Elles font l’objet de critiques par des spécialistes des sciences naturelles et sociales, des chercheurs en sciences humaines, ainsi que par le grand public et la communauté politique. Personne ne sera surpris : elles démontrent que la croissance verte s’annonce « compliquée » !
  • C’est un parfait rappel que les enjeux environnementaux ne concernent pas uniquement le climat et le CO2. C’est important de le répéter, à l’heure où l’immense majorité des débats sur l’énergie en France se focalisent le mix électrique français et la guerre nucléaire vs ENR.

La 6e limite planétaire : ‘le cycle de l’eau douce’

Jusqu’à présent, la limite du cycle de l’eau douce était encore dans l’espace sûr, en vert ci-dessous. Mais après réévaluation et une prise en compte de l’eau verte, la limite a été franchie. C’est pour cela que nous pouvons voir sur le graphique ci-dessous la limite avec une distinction entre eau verte et eau bleue.

Franchissement limite planétaire

Comment les distinguer ?

  • Eau bleue : part de l’eau issue des précipitations atmosphériques qui s’écoule dans les cours d’eau jusqu’à la mer, ou qui est recueillie dans les lacs, les aquifères ou les réservoirs. Jusqu’ici, les études ne prenaient en compte que les prélèvements d’eau des rivières, des lacs et des eaux souterraines;
  • Eau verte : part de l’eau issue des précipitations atmosphériques qui est absorbée par les végétaux. Cette nouvelle étude prend bien plus en compte le rôle de cette dernière, en particulier l’humidité du sol, dans la résilience de la biosphère, dans la sécurisation des puits de carbone terrestres et dans la régulation de la circulation atmosphérique.

L’auteur principal de l’étude, Lan Wang-Erlandsson, a déclaré : “L’eau est la circulation sanguine de la biosphère. Mais nous sommes en train de modifier profondément le cycle de l’eau. Cela affectera la santé de la planète entière et la rendra beaucoup moins résistante aux chocs”. Cela vient compléter les travaux du dernier rapport du GIEC et les chapitres qui concernent le cycle de l’eau, d’ores et déjà modifié à un rythme supérieur à tout ce que nous avons connu au cours de l’ère géologique de l’Holocène, c’est-à-dire plusieurs milliers d’années.

La survie de l’Amazonie, mais pas que…

Lors d’un précédent article, nous avions vu que l’Amazonie était sur le point de franchir un point de bascule. Arne Tobian, un autre auteur de l’étude, confirme que ‘la forêt amazonienne dépend de l’humidité du sol pour sa survie, et certaines parties de l’Amazonie s’assèchent“.

Si la forêt perd de l’humidité du sol à cause du changement climatique et de la déforestation, cela augmente ses chances de franchir un point de bascule, où plusieurs régions de l’Amazonie seront transformées en savane.

La mauvaise nouvelle, c’est que ce phénomène est mondial. “Partout, des forêts boréales aux tropiques, des terres agricoles aux forêts, l’humidité du sol change. Les sols exceptionnellement humides et secs sont de plus en plus à l’ordre du jour“, précise Arne Tobian. Rappelons que les solutions sont multiples et connues depuis des décennies. Mais plus elles tardent à être mises en place, plus nous aurons de chances d’avoir des conséquences irréversibles.

Pour appuyer cette dimension mondiale du phénomène, le graphique ci-dessous donne un aperçu des rétroactions liées à l’eau verte dans le système terrestre, y compris celles qui sont stabilisatrices (signe moins) ou amplificatrices (signe plus). Les rétroactions stabilisatrices sont soit intactes ou en augmentation (fond bleu), soit perdues ou en diminution (fond jaune). Les rétroactions amplificatrices liées à l’eau verte (fond pêche) augmentent plus que les rétroactions stabilisantes, ce qui suggère que les changements liés à l’eau verte dans le système terrestre s’amplifient plutôt que de se stabiliser.

Le mot de la fin

Chaque jour d’inaction climatique est une chance en plus d’avoir une mauvaise nouvelle. C’est le cas avec cette officialisation d’une 6e limite planétaire franchie. En regardant le nom des limites pas encore franchies et les hypothèses prises par les autrices et auteurs, il apparait difficile de ne pas en franchir d’autres sans changement radical de notre système économique.

Lors de l’officialisation du franchissement de la 5e limite planétaire, le traitement médiatique n’avait pas du tout été à la hauteur, mis à part quelques articles en France et en Belgique. Espérons qu’il soit meilleur pour cette 6e limite. Nous sommes en pleine urgence climatique et n’agissons absolument pas comme nous devrions le faire. Les principales actualités médiatiques sont éclipsées, à l’instar de la canicule exceptionnelle au Pakistan et en Inde, ou encore Wynn Alan Bruce qui s’est immolé devant la Cour Suprême aux Etats-Unis pour alerter sur la situation climatique. Que faudra-t-il de plus pour que les enjeux environnementaux aient la place qu’ils méritent au sein des rédactions ?

Sortir progressivement des énergies fossiles n’est pas une option. Non seulement c’est la seule solution pour respecter nos engagements climatiques et espérer limiter le réchauffement à +1.5°C, mais c’est également une question de survie pour une partie de l’humanité.

Pour aller plus loin :

  • Les limites planétaires de Natacha Gondran et Aurélien Boutaud : ce court ouvrage décrit les neufs grandes “limites planétaires” (changement climatique, biodiversité, usages des sols, cycles du phosphore et de l’azote, etc.)
  • L’étude en accès gratuit
  • Le dossier très bien documenté du CERDD sur les limites planétaires
  • L’économie du Donut : définition et analyse critique
  • Les 10 actions simples pour passer à l’action
  • The Boundaries of the Planetary Boundary Framework : A Critical Appraisal of Approaches to Define a “Safe Operating Space” for Humanity

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  1. Bonjour, quel est l’indicateur scientifique qui permet de dire que la frontière “eaux vertes” est dépassée ?

    Cette inforgraphie de Millénaire3 (cellule prospective du Gd Lyon) explique bien les principaux indicateurs d’une majorité de limites (y compris les eaux bleues), mais ne présente pas cette dimension eaux vertes :
    https://www.millenaire3.com/ressources/11-infographies-Limites-planetaires

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  2. Voici une vidéo de Thinkerview où Emma Haziza (hydrologue) a été interrogé sur la crise de l’eau. Elle est “spécialiste de la résilience des territoires face aux risques climatiques extrêmes. Fondatrice de Mayane, centre de recherches appliquées dédié à l’adaptation climatique.” https://youtu.be/5ysUySSNW3M (“Crise de l’eau, planète Terre invivable ?”)

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  3. Contrairement aux idées reçues, les deux tiers des précipitations continentales proviennent de la végétation (évapotranspiration) et seulement un tiers de l’évaporation en mer, la végétation ne consomme pas d’eau mais provoque les pluies dans un rapport 2/3 1/3 : 2 litres d’évapotranspiration produisent 3 litres de pluies et c’est aussi pour cela qu’il ne pleut pas dans les déserts ( sources : https://www.inrae.fr/actualites/nouvelle-representation-du-cycle-leau-integrant-activites-humaines )

    Les problèmes d’eau ne sont pas agricoles, au contraire ! La France va construire des milliers de réserves collinaires (Caussade) pour protéger la population des inondations qui font des millions d’euros de dégâts tous les ans (et même des morts …), La France va construire des milliers de bassins de rétention (bassines, en Deux Sèvres) pour mettre aux normes les rejets urbains (eaux de ruissellement et eaux usées). En Nouvelle Aquitaine, une simple mise aux normes des rejets urbains dépasse très largement les besoins en irrigation de la totalité de la Surface Agricole Utile, plus de 5 milliards de m3 ! Depuis la covid 19 les ARS ont mis le nez dans les rejets urbains qui polluent massivement et illégalement les rivières, avec le risque de contamination au covid des bassins ostréicoles l’état va mettre enfin aux normes les villes, la mise aux normes consiste simplement à sortir les tuyaux des rivières pour les envoyer dans des bassins de rétention ! Pour la ville de Niort le potentiel en eaux usées et pluies dépasse les 40 millions de m3 … Pour l’Agglo de Bordeaux c’est 1 million de m3 par jour …

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    1. 2 litres d’évapotranspiration produisent 3 litres de pluies.

      Heu… D’où vient le.litre supplémentaire???
      Je pense donc que c’est une erreur (ou mauvaise compréhension)

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      1. La réponse est dans le commentaire de DENISE Laurent : L’évapotranspiration c’est la vapeur d’eau provenant des plantes et le reste provient de l’évaporation des plans d’eau (rivière, lac, mer) !
        Le texte principal qui “complète” le rapport du GIEC est en revanche orienté et pas plus convaincant que les recommandations du GIEC.!
        je suis plutôt d’accord avec Sissoko qui constate que les politiciens (sous la coupe de l’oligarchie), sont les grands responsables des dégradations sur la planète.
        Gérard

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        1. le commentaire de DENISE Laurent ne veut rien dire, d’où ma question. Et au passage il pleut dans les déserts….
          Quand à votre commentaire sur les politiciens:
          – c’est ridicule car ils sont moins nombreux que la populace…
          – accuser les autres, c’est le meilleur moyen de se dédouaner et de ne rien faire…
          – les politiciens ne font rien d’autre que ce que la populace veut (cf l’abandon de la taxe carbone par les politiciens sous la pression des gilets jaunes qui aux dernières nouvelles sont la populace)

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  4. Je pose juste la question : n’est ce pas contradictoire avec le fait que plus la terre se réchauffe plus il y a d’humidité ?

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    1. C’est plutôt le contraire, il y a de plus en plus de sécheresse et de moins en moins d’humidité. S’il y avait plus d’humidité, avec le rayonnement solaire il y aurait plus d’évaporation et donc moins de sécheresse.

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      1. Nope Justin a raison. Au global on a un réchauffement et on a une augmentation de l’humidité globale.

        Ceci dit l’humidité atmosphérique locale et les zones de retombées en précipitations est affecté. Et donc on se retrouve avec des zones trop humides pour tenir les températures atteintes (comme la zone des Philipines par exemple), des zones qui vont recevoir plus de précipitations et d’autres moins. Mais la moyenne étant à un réchauffement global sur une planète recouverte à 70% d’eau… tu as plus d’humidité atmosphérique.

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  5. C’est important de le répéter, à l’heure où l’immense majorité des débats sur l’énergie en France se focalisent le mix électrique français et la guerre nucléaire vs ENR.
    Heu , non. Pas en France ou je ne vis pas dans la même France que les bobos parisiens qui n’ont pas besoin de voiture. Le débat c’est plutôt : j’ai besoin d’essence pas chère pour pouvoir vivre comme bon me semble (et surtout mener la vie soit disant écolo à la campagne)

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  6. Case 28 April 2022

    Mes amis je ne voudrai jouer les pessimistes mais regardez l’état de la planète. Pour changer le phénomène du réchauffement et de l’effondrement de l’écosystème, il faudrait changer notre mode de vie au niveau mondial et ce tout de suite, ce qui est IMPOSSIBLE.
    Des millions d’annees ont été nécessaires pour stabiliser le climat en emprisonnant le carbone dans le sous-sol et en seulement un peu plus de cent ans nous avons tout remis dans l’atmosphère.
    Attendez vous au pire, ce n’est que début et cela va aller cresendo.

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  7. J’ai l’impression que nous ne servions pas à grand chose vu lempleur des dégradations causé par les effets des politiques des gd pays .
    Nous comptons ds la Falémé de faire campagne village par village pour sensibiliser et aussi faire une demande de financement en ligne pour mobiliser l état à faire respecter la loi

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  8. Ntvt 28 April 2022

    C’est tellement déprimant… Que faire?

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  9. Et pendant ce temps là on fournit gratuitement des armes à l’Ukraine, les dirigeants occidentaux sont tous à enfermer d’urgence.

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Quelles sont les limites planétaires franchies ?

À l'heure actuelle, certaines limites apparaissent comme déjà franchies : à savoir le changement climatique, l'intégrité de la biosphère (biodiversité), la perturbation des cycles biochimiques de l'azote et du phosphore, les modifications de l'occupation des sols et l'introduction de nouvelles entités dans l' ...

Quelles sont les 3 limites planétaires déjà dépassées ?

Il reste trois limites qui n'ont pas encore été franchies : l'acidification des océans, la dégradation de la couche d'ozone et l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère.

Quels sont les limites planétaires ?

Quelles sont les 9 limites planétaires ?.
Le changement climatique..
L'érosion de la biodiversité.
Le changement d'utilisation des sols..
L'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère..
La perturbation du cycle du phosphore et de l'azote..
L'acidification des océans..
L'augmentation des aérosols dans l'atmosphère..

C'est quoi les 9 limites planétaires ?

Neuf processus sont retenus comme limites, car ensemble ils remettent en cause la stabilité de la biosphère : le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore, les changements d'utilisation des sols, l'acidification des océans, l'utilisation ...